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NGC 1365
Les barres galactiques, traceurs de la formation et moteurs de l’évolution des galaxies
Introduction
Avec sa barre spectaculaire, NGC 1365 est un magnifique exemple de de galaxie de Spirale barrée de Grand Style et va d'abord nous servir d"introduction à la dynamique des barres galactiques avant de voir 4 publications récentes, caractéristiques de la tendance actuelle de l'exploration des galaxie à travers l'étude de leurs poussières galactiques.
En effet, ces poussières sont d'excellents traceurs des interactions des trous noirs supermassifs du centre des galaxies avec l'ensemble de la galaxie.
Description
NGC 1365 a été découverte par l'astronome australien James Dunlop en 1826. Sans surprise, elle est appelée The Great Barred Spiral Galaxy par les anglophones. Située dans la constellation du Fourneau (Fornax) à environ 56 millions d'années-lumière de nous, NGC 1365 s'étend sur environ 200 000 années-lumière. Les parties externes de la barre complètent une rotation en 350 millions d'années environ (l’équivalent du temps qui nous sépare de l’époque où les trilobites nageaient encore au fond des océans, au début du Carbonifère… soit plus de trois millions et demi de siècles…Il est à noter que 8 millions d’années plus tôt avait eu lieu la première grande extinction terrestre).
Il s’agit d’une galaxie spirale barrée de grand style (grand design spiral galaxy), un type de galaxie spirale qui présente des bras spiraux longs et bien définis, et qui se distingue des galaxies spirales cotonneuses (« flocculent » en anglais), qui possèdent des caractéristiques structurales plus subtiles. Les bras spiraux d'une galaxie spirale de grand style peuvent s'étendre de façon nette autour de la galaxie sur plusieurs radians et être ainsi observés jusqu'à une distance significative du noyau. Aujourd’hui classée de type morphologique SB(s)b D selon Simbad (2021), NGC 1365 avait été utilisé par Gérard de Vaucouleurs comme galaxie type de la morphologie SB(s)bc dans son Atlas des galaxies avant d’être classée de type SBb(s)I par Sandage et Tammann en 1981.
10 % des galaxies spirales sont de grand style, comme par exemple M81, M51, M74, M100 et M101. La formation et la structure des galaxies spirales de grand style sont expliquées par divers modèles mathématiques qui font intervenir pour la plupart la density wave theory, théorie selon laquelle les bras spiraux sont créés à l'intérieur d'ondes de densité tournant autour de la galaxie à des vitesses différentes de celles des étoiles du disque, les étoiles étant « prises » dans ces ondes par attraction gravitationnelle (et impliquant que leur position dans un bras spirale spécifique ne soit pas permanente).
Ceci étant, si on y regarde bien, NGC 1365 est en fait une galaxie spirale à double barre. Cette deuxième barre est plus nette en imagerie infrarouge, dans la région centrale, et résulte probablement d'une combinaison d'instabilités dynamiques des orbites stellaires de la région centrale, de la gravité, des ondes de densité et de la rotation globale du disque. Cette barre intérieure tourne d’ailleurs probablement plus rapidement que la barre principale, nettement plus longue, donnant probablement cette forme diagonale assez caractéristique à la galaxie ; ainsi, les bras en spirale s'étendent en une large courbe au Nord et au Sud des extrémités de la barre Est-Ouest et forment un halo en forme de Z quasiment annulaire (anneaux dont nous reparlerons très bientôt avec NGC 1291). Comme nous le verrons plus en détail dans le prochain numéro d’astrosurf, la barre principale de NGC 1365 joue un rôle crucial dans l'évolution de la galaxie, attirant le gaz et la poussière vers son centre et entraînant un sursaut de formation d'étoiles mais, en fin de compte, alimentant son trou noir central et entraînant à terme sa propre dissolution. Les barres ont deux intérêts fondamentaux dans la compréhension de l’évolution des galaxies : elles sont non seulement un traceur de l’évolution passée, mais aussi un moteur de leur évolution, contribuant significativement à la redistribution de matière et de moment angulaire dans les disques galactiques.
Enfin, NGC 1365 fait partie du groupe de NGC 1316, qui comprend au moins 20 galaxies, dont les galaxies IC 335, NGC 1310, NGC 1316, NGC 1317, NGC 1341, NGC 1350, NGC 1365, NGC 1380, NGC 1381, NGC 1382 et NGC 1404. Ce groupe est un des membres de l'amas du Fourneau. Galaxie à noyau actif de type Seyfert 1, NGC 1365 est lumineuse dans l'infrarouge (LIRG) mais présente une brillance de surface de 14,18 mas/am, ce qui en fait une galaxie à faible brillance de surface (LSB en anglais pour low surface brightness. Les galaxies LSB sont des galaxies diffuses (D) avec une brillance de surface inférieure de moins d'une magnitude à celle du ciel nocturne ambiant). Jusqu'à 2012, quatre supernovas y ont été observées : SN 1957C de type inconnu, SN 1983V de type Ic, SN 2001du de type II-P et SN 2012fr de type Ia.
Un peu de science
Des propriétés des barres :
Et donc, s’il y a bien quelque chose de spectaculaire dans NGC 1365, c’est sa longue barre centrale et cette galaxie est la cible idéale pour introduire quelques concepts liés aux barres en général. Pour cela, je vais m’appuyer largement sur la thèse de Frédéric Bournaud, publiée en 2006 sous la houlette de Françoise Combes.
Une grande partie des galaxies spirales de l’Univers Local présentent une structure centrale allongée et rectiligne appelée barre, longue parfois de quelques kiloparsecs. Gérard de Vaucouleurs recensait dès 1963 sur les catalogues d’images optiques un tiers de galaxies fortement barrées (de type SB), un tiers de galaxies faiblement barrées (de type SAB) et un tiers de galaxies non barrées (de type SA). Ces barres sont des structures stellaires non gazeuses ; le gaz répond d’une certaine façon à la présence d’une barre, mais ne constitue pas lui-même une barre sauf dans des cas exceptionnels de disques de gaz dominés par un potentiel axisymétrique ou à grand redshift.
La formation d’une onde barrée correspond à une perte de moment angulaire dans les régions centrale du disque, qui est transféré dans d’autres régions (disque externe, halo...). Les modèles ont montré qu’il suffisait d’enlever 10% de moment angulaire aux kiloparsecs centraux du disque pour y former une barre. Deux processus peuvent y conduire spontanément si les populations stellaires n’ont pas une dispersion de vitesses trop grande :
soit par transfert de moment angulaire vers les régions extérieures du disque par le biais des bras spiraux et de leur interaction avec la barre naissante, mécanisme d’autant plus efficace que le disque est riche en gaz ;
soit par friction dynamique de la barre naissante sur le halo de matière noire qui entoure le disque, mécanisme d’autant plus efficace que le halo est massif et/ou concentré.
Les observations du début des années 2000 dans le proche infrarouge - s’affranchissant des effets d’absorption par la poussière interstellaire - ont permis d’observer la contribution des étoiles âgées peu massives (qui tracent mieux le potentiel gravitationnel que les étoiles massives jeunes, vues par exemple en bande B) à la formation des barres. Elles ont ainsi montré que la fraction de barre était en fait encore plus importante que ce qui était pensé jusqu’alors.
De la prévalence des barres
D’un point de vue observationnel pur, les barres sont très abondantes dans l’Univers Local, présentes dans 80% des galaxies spirales, soit 30% de l’ensemble des galaxies si on se réfère aux données SDSS du Galaxy Zoo (cf. Masters et al. 2011). Mais qu’en était-il il y a plusieurs milliards d’années ? Les moyens d’observation récents permettent d’envisager la résolution de la morphologie, donc la détection de barres, à des redshifts de z de 0.5 à 1, soit jusqu’à 8 milliards d’années dans le passé et les astronomes se sont historiquement appuyés sur les observations dans le domaine du visible afin mesurer l'incidence des barres, mais cette approche finit par butter sur des difficultés de classifications morphologiques ne serait-ce qu’à cause de la petite taille des images (quand bien même les galaxies sont étudiées avec la résolution du télescope spatial Hubble, il vient toujours un moment où la résolution spatiale devient insuffisante).
Et si pendant un certain temps il a semblé que les barres à z > 0.5 étaient plus rares et plus faibles qu’à bas redshift, cette fausse impression ne résultait en réalité ni d’un effet de sélection ni d’un problème de résolution mais d’un "décalage de bande" lié aux modifications de la distribution de la lumière dues au redshift, qui « efface » les galaxies à de grandes distances. En effet, les barres de l’Univers Local sont visibles en proche infrarouge ou en lumière rouge, et sont quasiment visibles en lumière bleue ou ultraviolette, mais si on observe une galaxie à z = 0.7 en bande rouge sur Terre, on détecte le rayonnement qu’elle a émis en lumière bleue et donc dans lequel l’éventuelle barre risque de passer inaperçue. C’est donc uniquement en observant dans les longueurs d’ondes de l’infrarouge proche ou moyen que l’on peut espérer détecter les barres des galaxies à grand redshift.
Et lorsque l’on observe dans ces longueurs d’ondes adaptées avec une résolution suffisante pour détailler ces galaxies lointaines – car la taille des barres comparée à la résolution des observations explique aussi que les barres lointaines n’aient pas été vues dans un premier temps – on détecte finalement de nombreuses barres, parfois très fortes, à des redshifts proches de 1, avec en pratique une fraction de barres constante jusqu’à z ≃ 1. Ces barres vues à haut redshift semblent même avoir la même longueur que celles de l’Univers Local.
C’est donc l’arrivée de l’imagerie par infra-rouge (IR) qui a permis de donner une estimation nettement plus précise de l’incidence des barres au sein des galaxies spirales. Traçant au mieux la masse stellaire, les données IR ont permis de mettre en évidence la présence de barres au sein de régions obscurcies par des formation d'étoiles (et donc riche en nuages de gaz géants), notamment dans les galaxies de type ultérieur de la séquence de Hubble, révélant au final la présence de barres dans quasiment toutes les galaxies aussi bien à grand redshift (z ≃ 0.6 − 1) que dans l’Univers Local (quand bien même les barres peuvent aussi être mises en évidence de façon indirecte par d’autres méthodes - comme par exemple à travers l’étude des courbes de vélocité des galaxies - qui ont permis notamment de révéler assez tôt la présence de toutes petites barres).
De la labilité des barres
La découverte de l’omniprésence des barres dans l’univers actuel soulève de nombreuses questions au rang desquelles notamment celles de leur mode d’apparition, de leur stabilité et enfin de leur éventuelle présence alors que l’univers était jeune.
Les cosmologistes ont donc notamment du déterminer si des propriétés statiques pouvaient être aussi constantes pendant 8 milliards d’années, ce qui supposerait que les barres seraient des structures robustes dont les propriétés n’évolueraient pas, qui ne se renforceraient ni ne s’affaibliraient significativement pendant des milliards d’années, ou si les barres étaient des structures qui évolueraient, pouvant s’affaiblir et se dissiper, mais aussi s’amplifier et se reformer une ou plusieurs fois entre z = 1 et z = 0, tout en maintenant en moyenne des propriétés constantes.
A l’encontre de la première hypothèse, les simulations numériques (dès 1971) et les études de stabilité globale (dès 1972) avaient montré très tôt que les modèles de disques rotatifs stellaires simples étaient globalement instables. Dans un régime linéaire, cette instabilité prend la forme d'une spirale ouverte à deux bras mais, à mesure qu'elle sature, la forme se redresse en une barre dans le disque interne, tandis que la spirale dans le disque externe s'enroule et se disperse. Dès 1971, Hohl montrait ainsi que l'instabilité provoquait un réarrangement considérable du moment cinétique dans le disque des galaxies, et que le profil de masse moyenné azimuthalement était sensiblement modifié, le disque interne devenant plus dense tandis que la matière externe était dispersée loin vers l'extérieur. L’alimentation des noyaux actifs par les barres plaidait a priori pour le second type d’évolution, décrit par Combes dès 2000.
Pouvoir répondre à la question de la robustesse des barres dans le temps était importante non seulement pour la compréhension de la dynamique des ondes barrées, mais parce que la réponse fournie est en lien avec des éléments fondamentaux dans l’évolution morphologique des galaxies : divers phénomènes sont fortement affectés par la formation ou la présence d’une barre comme par exemple la possibilité d’alimenter de façon récurrente leur AGN via des barres successives, la croissance de leur bulbe, la redistribution du moment angulaire entre leur disque et leu_r halo à chaque formation de barre, et même l’histoire de leur formation stellaire.
Depuis l’arrivée des modélisations informatiques auto-cohérentes dans les années 1990 incluant la dynamique du gaz et indépendamment de la qualité des modèles actuels, on peut considérer que les barres ne sont ni plus ni moins que des ondes de densité qui se développent spontanément dans un disque galactique soumis à sa propre gravitation, en sachant que toute la matière participe à cette instabilité gravitationnelle, que ce soit le gaz interstellaire ou les étoiles.
De façon assez intuitive, on conçoit qu’un disque est d’autant plus instable qu’il est « froid », c’est-à-dire que sa dispersion de vitesses (mouvements désordonnés) est faible et que sa vitesse de rotation (mouvement ordonné) est forte. La barre est une perturbation qui brise la symétrie axiale du disque galactique, et crée de la sorte des forces gravitationnelles tangentielles. Ces forces résultent en couples de torsion sur les bras spiraux de la galaxie et participent à transférer le moment cinétique du gaz interstellaire vers l’extérieur.
Et c’est là que commence le processus de destruction des barres
Les couples gravitationnels que la barre exerce sur le gaz lui font perdre du moment angulaire et le gaz alimente une « concentration centrale de masse » (CMC). Autrement dit, les couples de gravité négatifs des étoiles sur le gaz entraînent un écoulement du gaz vers le noyau ; il perd de son moment angulaire par interaction avec les étoiles de la barre. Une grande masse de gaz « tombant » vers le centre, l’action de la barre provoque donc des sursauts de formation d’étoiles dans le centre galactique. Mais cette accumulation de masse vers le centre détruit progressivement la barre comme nous allons le voir ci-dessous, puisque la concentration de masse et la formation d’un bulbe stabilisent le disque, qui est alors moins soumis à sa propre gravitation.
La croissance de la CMC rend les orbites chaotiques et va participer à la dissolution de la structure de la barre, avec des CMCs dont la masse est de seulement 0.5 à 2 % de la masse du disque. Or dans une galaxie spirale « normale » contenant 5 à 10 % de gaz, la barre alimente des CMCs répondant à ce critère, et elle va donc s’autodétruire.
Or une croissance de la concentration centrale de masse de l’ordre de 1% peut détruire une barre stellaire (la croissance doit être rapide et très concentrée). Une grande masse de gaz « tombant » vers le centre, l’action de la barre provoque donc des sursauts de formation d’étoiles dans le centre galactique. Mais cette accumulation de masse vers le centre détruit progressivement la barre puisque la concentration de masse et la formation d’un bulbe stabilisent le disque, qui est alors moins soumis à sa propre gravitation. Les barres sont donc responsables de leur propre dissolution, puisque c’est sous leur action qu’a lieu la concentration de masse.
Mais un autre phénomène affaiblit encore plus la barre ; avant qu’il ne tombe dans la concentration de masse centrale, le gaz se concentre par « choc » à l’avant de la barre par rapport à son sens de rotation dans deux « bras spiraux ». Le gaz ne suit donc pas la barre, mais forme une (onde) spirale en avance selon le sens de la rotation du disque galactique (il n’y a pas de croisement des orbites stellaires et du gaz). Ce décalage entre le gaz et les étoiles de la barre est bien visible dans NGC 1365 sous la forme de bandes de « poussières » de part et d’autre de la barre. Or, simultanément que le gaz qui est situé le long de la barre perd environ 10% de son moment angulaire en une rotation, les étoiles qui sont dans la barre gagnent elles du moment angulaire (de l’ordre de 1% en une rotation), ce qui affaiblit la barre (qui est une onde de moment négatif). En une dizaine de rotations, le gain relatif de moment angulaire par les étoiles est donc d’environ 10%, ce qui compense le moment de l’onde barrée (le moment angulaire d’une barre étant négatif, de l’ordre de −10% du moment initial du disque stellaire). Ce processus contribue à affaiblir la barre, et agit même plus tôt et plus fortement que la croissance de la CMC : sous l’effet de la croissance des CMCs et des couples de gravité avec le gaz, les barres de galaxies sont détruites en 2–3 milliards d’années dans des galaxies spirales typiques dans les modélisations.
Les barres sont donc responsables de leur propre dissolution, puisque c’est sous leur action qu’a lieu la concentration de masse.
De la reformation des barres
Mais pour expliquer que la majorité des galaxies à disques et la quasi-totalité des galaxies spirales actuelles soient barrées, il faut proposer un mécanisme de « reformation » des barres. Bournaud et Combes posèrent l’hypothèse que l’accrétion de grandes quantités de gaz par les disques galactiques provoquait la reformation de barres dans les galaxies où le rapport de masse entre le disque et le bulbe se rééquilibrait au profit du disque, qui devenait alors plus auto-gravitant et donc plus instable. Le disque est alors aussi plus « froid », car la dispersion de vitesse du gaz est bien inférieure à celles des étoiles, le gaz perdant de l’énergie par rayonnement.
L’accrétion de gaz peut ainsi conduire à la formation d’une série de barres successives, selon un mécanisme d’auto-régulation. Dès que suffisamment de gaz s’est établi dans le disque, une barre se forme, puis produit des couples sur les bras spiraux, qui entraîne à son tour une accumulation de masse vers le centre, qui va au final affaiblir ou détruire la barre. En présence d’une barre forte, les couples qui changent de signe à l’extérieur du disque empêchent le gaz externe de rentrer dans le disque. Un fois la barre disparue, le gaz pourra à nouveau s’établir dans le disque, et le processus pourra recommencer.
En résumé, une galaxie barrée peut voir sa barre totalement « dissoute » uniquement par de simples variations de concentration de gaz interstellaire dans son noyau, le type de la galaxie passant alors de « spirale barrée » à « spirale non-barrée ». Dans le même temps, la galaxie étant plus concentrée, sa morphologie « remonte » dans la classification de Hubble vers les types « précoces » mais l’accrétion de gaz dans la galaxie peut de nouveau conduire à la formation d’une barre, et faire alors « redescendre » la galaxie dans la séquence de Hubble vers les types « tardifs ».
Une conséquence de ces processus qui font évoluer les galaxies sur la séquence de Hubble non seulement d’un côté ou de l’autre du « diapason », mais aussi de les faire descendre vers des types plus tardifs Sa —> Sb —> Sc (donc de les « rajeunir » en quelque sorte).
Ainsi, plusieurs barres peuvent se succéder dans la vie d’une même galaxie spirale, ces barres formant des ondes de densité dont la vitesse de rotation est de plus en plus rapide. En effet, après une diminution naturelle au cours du premier épisode barré, l’accrétion augmente la vitesse de rotation et la deuxième barre est plus rapide que la première.
>> Schéma de la classification de Hubble (click here) <<
Et si l’évolution naturelle à long-terme resterait toujours de remonter la séquence Sc —> Sb —> Sa, elle présenterait toutefois quelques reculs vers des états plus « jeunes ». De même, la vitesse de rotation de l’onde barrée, qui normalement décroît avec l’évolution, peut croître à nouveau (ce qu’ont montré les simulations numériques).
il ressort au final que la formation et l’évolution des galaxies présentent des principes physiques communs qui incluent gravité, hydrodynamique, refroidissement des gaz et formations d’étoiles avec rétroactions stellaires, et bien qu’à l’heure actuelle, les modèles restent imparfaits par rapport aux données observationnelles (cf. aussi Partie 2 ci-dessous) et malgré ce constat d’échec relatif, ces modèles ont eu le mérite de mettre en évidence que les galaxies évoluaient morphologiquement dans un temps court par rapport à l’âge de l’Univers, ce qui constitua l’une des révolutions de la cosmologie du début du XXIème siècle et il fut démontré (notamment sous l’impulsion de Françoise Combes) que les galaxies pouvaient plusieurs fois changer totalement de morphologie, avec un caractère morphologique particulièrement labile qui est représenté par leur(s) barre(s).
Or les galaxies n’étant pas isolées, elles se « nourrissent » de gaz du milieu inter-galactique, plus ou moins riche selon l’environnement et cette accrétion de gaz fait donc office de véritable fontaine de jouvence pour les galaxies !
Annexe : Modélisation mathématique d’une barre (mais vous pouvez tout aussi bien passer directement au chapitre suivant)
Sur le plan mathématique, une barre stellaire est une structure dynamique non linéaire auto-cohérente, que l'on peut conceptualiser par un « cadre » (qui tourne avec la barre), parfois appelé cadre-barre. Une grande partie des étoiles d'une barre se déplace vers l'avant avec ce cadre-barre rotatif, sur des orbites allongées mais restant confinées au cadre.
Dans un cadre inertiel, avancer dans un cadre rotatif implique une période d'orbite autour du centre qui soit plus courte que la période de rotation du cadre. Ainsi, la plupart des orbites dans la barre occupent des parties régulières de l'espace des phases, dans lesquelles les étoiles sont « piégées » sur des orbites périodiques.
Une barre comporte en réalité plusieurs familles d’orbites.
Les orbites périodiques sont décrites comme résonnantes quand elles se ferment dans le cadre-barre, Par exemple, la famille de résonance d’orbite « 2 : 1 » décrit les orbites qui se ferment après deux oscillations radiales et un tour complet autour du centre. La figure 1 montre les familles d'orbites principales dans le plan médian d'une barre rotative théorique qui aurait le potentiel efficace simple suivant :
où R² = x² + y², Rc est le rayon du noyau (c = core) à l'intérieur duquel le potentiel est approximativement harmonique, q ≤ 1 est l'aplatissement, et v0 est la vitesse circulaire à grand R lorsque q = 1. Sur la figure 1 ci-dessous, la modélisation a été construite avec les valeurs suivantes v0 = 1, q = 0,8, Rc = 0,03 et Ωp = 1
>> Figure 1 : exemple d'orbites périodes 2:1 <<
Sur cette figure 1, les traits pleins sont des exemples d'orbites périodiques qui se ferment après deux oscillations radiales pour chaque rotation autour du centre : il s’agit de la famille de résonance 2: 1 mentionnée ci-dessus.
Ces orbites allongées parallèlement à l'axe de la barre (horizontal) appartiennent à la famille x1. A l’inverse, Les orbites x2 sont allongées perpendiculairement à la barre ; elle correspond à une deuxième famille d'orbites 2: 1 et qui ne se trouvent que profondément à l'intérieur de la barre. Elles n'apparaissent généralement que dans les modèles à centre dense, avec des périodes orbitales courtes.
La famille la plus importante est la famille des ”orbites x1”. Il s’agit d’orbites périodiques très excentriques, allongées selon le grand axe de la barre, qui forment « l'épine dorsale » de la barre. Ce sont elles qui constituent le support de la barre
Un point intéressant de la figure 1 concerne les lignes pointillées, qui montrent trois exemples d’orbites résonnantes 4: 1 (ie. qui se terminent après quatre oscillations radiales pour chaque rotation autour du centre). Ce sont ces orbites qui contribuent à l'apparence un peu carrée de nombreuses barres. La précession de ces orbites à la même vitesse angulaire à tous les rayons induit la rotation de la barre sans déformation.
On peut remarquer qu'il existe cinq points de Lagrange dans le potentiel de la barre (càd où une particule pourrait rester stationnaire dans le cadre en rotation) ; quatre se trouvent sur le cercle de corotation (cf infra), L1 et L2 se trouvant sur le grand axe de la barre et L4 et L5 sur le petit axe de la barre, tandis que L3 est au centre de la barre. Dans les barres fortes, L1 et L2 sont plus proches du centre que L4 et L5. Les points de Lagrange L1 et L2 dans le potentiel utilisé pour la figure 1 sont très proches des points (x, y) = (± 1, 0).
La barre tournant à une certaine vitesse, elle déclenche un phénomène de résonnance dit de corotation au sein du disque stellaire. A l’endroit de cette résonnance, la vitesse de rotation de l’onde spirale (de la barre) est égale à celle de la matière. A l’intérieur du cercle de corotation la matière tourne plus vite que l’onde et les étoiles tournent donc plus rapidement que la barre (et inversement à l’extérieur du cercle de corotation).
Sur le plan morphologique, ces orbites expliquent que les barres aient une plus grande étendue "normale" (au sens mathématique du terme, c'est à dire orthogonal) au plan du disque que le disque qui les héberge, ce qui explique probablement la forme « de cacahuète » des galaxies barrées lorsqu'elles sont vues sur la tranche. Cette hypothèse n'est pas vérifiable de façon formelle, car les galaxies chez qui cette hypothèse est émise ne pourront jamais être vues de face pour le prouver, et les preuves à l'appui de cette interprétation des renflements sont donc indirectes. La portion interne de la Voie lactée présente très probablement une telle forme ; en fait, sa forme de cacahuète est si prononcée qu'elle décrite presque un « X » en coupe axiale.
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Largement étudiée depuis 1960 avec un papier inaugural de Burbidge et Burbidge, NGC 1365 offre l’embarras du choix de lectures avec 1546 articles référencés sur le portail SIMBAD entre 1850 et janvier 2021. Et puisque l’on a parlé ci-dessus de barres, de gaz, de poussière et de fontaine de jouvence, il est intéressant de constater que les 4 dernières publications sur NGC 1365 concernent toutes de façon plus ou moins directe l’étude de ses poussières et / ou de son gaz.
De manière générale, effectivement, on voit bien se dessiner ces dernières années une tendance à l’étude des poussières des galaxies. Après en avoir étudié les étoiles durant des décennies, cette nouvelle approche permet d’affiner les modèles de l’évolution et de la dynamique des galaxies, notamment à travers l’étude de leurs barres et de leur rapport au gaz galactique.
A cet égard, depuis la publication extensive en 1999 par Olof Lindblad des caractéristiques de NGC 1365 dans de multiples longueurs d’onde, une des publications récentes caractéristique de cette problématique est une cartographie de NGC 1365 à 870 μm réalisée par Tabatabaei et al. en 2013. Ce choix d’exploration submillimétrique répond aux propriétés physiques de la poussière galactique, qui nécessite des observations à des longueurs d'onde inférieures à 1 mm.
Les mesures de l’équipe de Tabatabaei ont permis de mettre tout d’abord en évidence l’existence d’un corps noir diffus de 20 K qui représente environ 98% de la poussière totale contenue dans la galaxie (le reste étant constitué de poussière légèrement plus chaude, à 40 K). par ailleurs, ils montrent une forte asymétrie Est-Ouest dans la distribution de la poussière dans la région centrale de la barre, la barre étant environ 4 fois plus lourde à l’Est qu’à l’Ouest ! Mais surtout, les auteurs ont mis en évidence que l'échelle de temps sur laquelle le gaz coule vers le centre était relativement courte, de l’ordre de 300 millions d’année, ce qui indique que la masse centrale actuelle de NGC 1365 évolue rapidement du fait de sa barre forte (se référer à l'image en haut à gauche du cadre ci-dessus).
Par ailleurs, les auteurs ont enfin montré - grâce à une mesure de la luminosité infrarouge totale (LTIR) de 9,8 × 1010 L☉ - que NGC 1365 présentait un « taux de formation d'étoiles enveloppé de poussière » (SFRTIR) de l’ordre de 16,7 M☉/an (pour mémoire notre galaxie présente un taux de formation d’étoiles annuel d’environ 4 masses solaires soit 7 étoiles par an, ce qui est dans la moyenne des galaxies spirales).
Plus récemment, l’équipe NUGA (voir définition ci-après) s’est intéressée à la répartition de la poussière galactique dans un rayon d’environ 800 pc autour du centre de plusieurs galaxies à AGN pour cartographier la distribution et la cinétique du gaz et des étoiles afin de mieux appréhender leurs relations avec le Noyau Galactique Actif (se référer à l'image du haut à droite du cadre ci-dessus).
Le noyau actif d’une galaxie (ou Noyau Galactique Actif ie AGN en anglais) correspond à cette région non résolue d’où est émise un puissant rayonnement non stellaire provenant de l'accrétion de masse vers les trous noirs supermassifs (Super Massive Black Hole ie SMBH) situés au centre de la plupart des galaxies massives. L’intensité de l’AGN peut surpasser celle de la galaxie hôte dans son ensemble. Actuellement, seulement ∼10% des galaxies sont en phase AGN forte (galaxies de type Seyfert et Objets quasi-stellaires - QSO) et ∼40% présentent au moins une activité AGN de faible luminosité. Les AGN de haute luminosité (de redshift > 2) sont souvent déclenchés par des perturbations externes (comme des interactions galactiques ou des fusions majeures), les AGN de l’Univers Local étant quant à eux principalement dominés par l’évolution galactique séculaire (cf. lexique) et notamment, on y revient, par celle de la barre de leur galaxie.
Un des domaines de recherche actif actuels concerne les mécanismes d’acheminement du gaz vers le disque d'accrétion du trou noir aux échelles kiloparsec (une galaxie fait une dizaine à quelques dizaines de milliers de parsec de diamètre). Comme nous l’avons vu dans la première partie, les torques (couples) dus aux barres à grande échelle et aux bras en spirale transportent le gaz vers la région centrale (0,1 kpc), où des barres et des spirales secondaires / nucléaires peuvent prendre le relais. Les barres mènent à des résonances Lindblad (cf. annexe pour plus de détails), où le gaz est contenu et comprimé dans des anneaux, ce qui peut conduire à la survenue de sursauts de formations d'étoiles. Les vents stellaires de ces régions de formation d'étoiles pourraient également jouer un rôle dans l'alimentation de l'AGN dans les cas où le matériel éolien est capturé au rayon de Bondi correspondant (l'accrétion de Bondi, nommée d'après Hermann Bondi, est une accrétion sphérique sur un objet compact voyageant à travers le milieu interstellaire. Elle est généralement utilisée dans le contexte de l'accrétion d'étoiles à neutrons ou de trous noirs).
L'objectif du projet NUGA (NUclei of GAlaxies) est donc d'étudier ces mécanismes qui conduisent à l'alimentation des noyaux galactiques. L’équipe a commencé par cartographier la distribution et la dynamique du gaz moléculaire (froid) dans le kiloparsec central des galaxies proches (où la galaxie hôte peut être résolue à des échelles de dizaines de parsecs) de l’hémisphère nord à l'aide de l'interféromètre IRAM du Plateau de Bure avant d’étendre son activité à l'hémisphère sud avec la mise en place du réseau Atacama Large Millimeter / Sub-millimeter Array (ALMA). A ce jour, l'échantillon NUGA comprend désormais plusieurs galaxies proches avec des activités nucléaires variables (Seyfert, LINER, starburst) qui sont étudiées à partir des échelles kiloparsec jusqu'à des échelles de quelques dizaines de parsecs, dont NGC 1365.
Dans leur publication de 2019, l’équipe de NUGA a utilisé SINFONI, le spectrographe de champ intégral en proche infrarouge de Melipal, le troisième télescope du VLT. Sur le plan technique, il s’agit d’un appareil qui explore les longueurs d’onde de 1,1 à 2,45 µm, alimenté par un module d'optique adaptative installé au foyer Cassegrain et qui fonctionne avec 4 réseaux (J, H, K, H + K), fournissant une résolution spectrale autour de 2000, 3000, 4000 en J, H & K respectivement, et de 1500 en H+K - chaque bande de longueur d'onde s'adaptant entièrement sur les 2048 pixels du détecteur Hawaii 2RG (2kx2k) dans le sens de la dispersion. L'échelle spatiale du "pixel" peut être sélectionnée de 0,25", 0,1" à 0,025" par épaisseur d'image, correspondant à un champ de 8"x 8", 3"x 3"et 0,8" x 0,8" d’arc respectivement.
Forte de ce matériel, l’équipe NUGA a apporté les conclusions suivantes :
Le noyau actif galactique de NGC 1365 est de type 1. En effet, plusieurs études antérieures n’avaient pas pu classer formellement l’AGN de NGC 1365, et il était même considéré comme variable. les résultats de NUGA ont montré que le spectre de la région nucléaire de NGC 1365 était typique d’un AGN de type 1 avec des raies d'émission larges et intenses et des raies d'émission étroites de gaz ionisé – notamment les raies de recombinaison d'hydrogène Paα et Brγ (il est classique d’utiliser les raies de recombinaison comme les raies Hα, Hβ, Paα, Paβ, Brα et Brγ afin de sonder les populations d’étoiles jeunes et massives dans les galaxies, ces raies rééemettant la luminosité des galaxies dans un petit intervalle centré sur la longueur d’onde de la limite de Lyman, cad 1216 Angström). L’étude spectrométrique a aussi mis en évidence en évidence de la poussière chaude à environ 1 300 K, là aussi typique des AGN de type 1 ;
La masse du trou noir de NGC 1365 est estimée entre 5 et 10x106 M☉ (en dérivant l'émission issue de la région à larges raies, en particulier les composantes larges des raies de recombinaison de l'hydrogène) ;
Il existe un afflux de gaz le long / par la barre centrale vers le centre galactique (à 2 kpc). Il existe par ailleurs une résonance Lindblad interne (ILR) de forme ovale à r ≈ 1 kpc dans la région de transition entre les lignes de courant de gaz de type x1 et x2 qui donne un aspect en anneau au centre galactique (cf. ce que nous avons expliqué ci-dessus concernant les formes des principales familles d'orbites périodiques dans une galaxie barrée. Pour mémoire, les orbites x1 sont parallèles à la barre et les orbites x2 lui sont perpendiculaires et à l'intérieur de la corotation). Cet « anneau » (annuaux dont nous reparlerons dans une publication future) avait d’ailleurs déjà été signalé comme le siège de « points chauds » qui émettent dans les longueurs d'onde optiques (Morgan, 1958) et qui sont la trace d’amas stellaires chauds et de leurs rémanents de supernovas correspondants. Ils sont bien visibles en Hα, en NII, en ondes radio, en CO, et surtout en infrarouge moyen et lointain, ce qui suggère que la plupart de ces zones de formations d'étoiles sont obscurcies par la bande de poussière qui traverse la région nucléaire ;
La masse du gaz moléculaire chaud dans la région centrale des ∼800 pc est estimée à ∼615 M☉, ce qui correspond à un réservoir de gaz moléculaire froid de 2 à 8 × 108M☉, révélant ainsi un déficit en gaz moléculaire dans la région nucléaire. Ce déficit, que l’on retrouve par exemple dans la galaxie d’Andromède, pose des questions quant à sa signification dans l’évolution des galaxies et sa relation avec la formation d’étoiles ;
Il existe un anneau circumnucléaire de sursauts de formation d'étoiles (à r ≈ 1 kpc), et l’équipe NUGA a même résolu certains points de sursaut de formation étoile plus faibles dans la portion interne de l'anneau et dans le noyau (r ≈ 0,3 kpc) avec des âges de l’ordre de 0,1 millions d'années. En inspectant les âges relatifs des « points chauds » (en utilisant les rapports des raies d'émission He i, Brγ et [Fe ii]), l’équipe a même pu mettre en évidence un gradient d'âge sur le côté Ouest de l'anneau, ce qui fait estimer à environ 6 millions d'années le temps de transit d'un amas de sursaut de formation d'étoiles à travers l'anneau du NO au SO, et explique la transition d'une région dominée par He i à une région dominée par [Fe ii] au sein de l’anneau (cf imageen trois couleurs de He I en bleu, Brγ en vert et [Fe II] en rouge ci-dessus, qui suggère un gradient d'âge dans la partie ouest de l'anneau)
La mise en évidence d’une raie d'émission décalée vers le bleu en Paα dans la région nucléaire uniquement et les caractéristiques des formations d'étoiles dans les points chauds de l'anneau circumnucléaire (dont les d'étoiles sont d’un âge ≲10 millions d’années) montrent un gradient d'âge sur le côté ouest de l'anneau. De plus, les données haute résolution révèlent une sous-structure supplémentaire dans cet anneau qui montre également une activité de formation d'étoiles augmentée à proximité du noyau.
Les cartes de gaz et des vitesses stellaire présentent les unes et les autres des modèles de rotation cohérents avec la rotation à grande échelle de la galaxie. Cependant, les cinématiques gazeuses et stellaires montrent des écarts par rapport à la rotation du disque pur, ce qui suggère des mouvements de flux dans le centre <200 pc et une torsion de vitesse à l'emplacement de l'anneau qui indique des écarts dans les vitesses de rotation du disque et de l'anneau (conformément aux cinématiques CO publiées antérieurement dans d’autres études).
Notre troisième publication date de 2019. A l’instar de la publication précédente, elle concerne l’exploration des poussières de l'environnement proche des noyaux galactiques actifs (AGN) et l’étude des structures dynamiques conduisant à leur alimentation à travers la morphologie et la cinématique du gaz à l'intérieur de la sphère d'influence des trous noirs.
Pour cela, les auteurs se sont fondés sur des observations de l'émission de CO(3-2) par l’Atacama Large Millimeter / submillimeter Array (ALMA) dans un échantillon de sept galaxies Seyfert / LINER dont NGC 1365, avec une résolution spatiale sans précédent de 0,1 " (soit 4 à 8 pc en fonction de la distance des galaxies). Les auteurs y montrent l'existence de structures de disques circumnucléaires qu’ils appellent tores moléculaires, même s’ils apparaissent souvent comme des disques sans trous au centre, définis par leur morphologie et leur cinématique découplée à l’exception notable de NGC 1365 où l'AGN est centré sur le trou de gaz central du tore. En effet, le tore et l'AGN sont plus fréquemment légèrement décentrés par rapport à la position de l'anneau, ce qui implique que le trou noir semble errer d'une amplitude de quelques 10 pc autour du centre de masse de la galaxie (se référer à l'image en bas à gauche dans le cadre ci-dessus).
Le rayon de ces tores varie de 6 à 27 pc et leur masse de 0. 7 à 3,9 x 10^7 M☉. Ces tores présentent des orientations variables, non alignées avec celle de leur galaxie hôte (les orientations les plus marginales des tores correspondant aux Seyferts obscurcies).
À plus grande échelle, les données observationnelles montrent que le gaz reste entassé dans quelques anneaux résonnants dans un rayon de 100 pc, qui jouent le rôle de réservoir pour alimenter le noyau ; en effet il a été observé dans certains cas une spirale à l'intérieur de l'anneau, mettant en évidence de façon directe les processus d'alimentation).
Toujours dans le domaine de l’étude des poussières, Nersenian et al. se sont intéressés en 2020 à la problématique de leur réémission thermique. Comme nous l’avons vu à plusieurs reprises ci-dessus, bien que la poussière ne représente qu'une petite fraction de la masse totale d'une galaxie, elle est responsable d'importants effets d'atténuation et de rougissement aux longueurs d'onde ultraviolettes (UV) et optiques. Ainsi à titre d’exemple, la poussière absorbe d'environ un tiers de l'énergie émise par les étoiles dans le cas des galaxies de type tardif (tout du moins à l'échelle de l'Univers local). Cette énergie est convertie en rayonnement infrarouge moyen (MIR) et lointain (FIR) et en rayonnement sub-millimétrique (submm) et entraîne un échauffement des poussières principalement attribuable à l'absorption des photons ultraviolets et optiques émis par les étoiles les plus jeunes c’est-à-dire de moins de 100 millions d’années. La réémission thermique par la poussière aux longueurs d'onde de l'infrarouge lointain est donc liée de façon plus ou moins directe à l'activité de formation d'étoiles d'une galaxie et puisque l'émission des poussières dans ces longueurs d'onde est utilisée pour tracer l'activité de formation d'étoiles (soit à partir des mesures MIR et FIR seules, soit à partir des mesures combinées de FIR aux données UV et optiques), la contribution des étoiles anciennes à son échauffement doit donc être mieux déterminée.
Ainsi, dans leur publication de 2020, Nersenian et al. ont analysé la contribution des différentes populations stellaires au réchauffement de la poussière dans quatre galaxies spirales barrées proches vues de face (NGC 1365, M 83, M 95 et M 100) à la fois globalement et à la fois à l'échelle locale afin d'évaluer l'influence de la barre sur la fraction chauffante. Ils confirment ainsi la dépendance de la forme de la courbe d'atténuation observée avec la topographie étoile-poussière et le niveau d’activité de formations d'étoiles.
Ils confirment que la population d'étoiles anciennes a un rôle actif dans le processus de réchauffement de la poussière. Ce résultat important laisse entendre que l'utilisation de la luminosité infrarouge comme indicateur de l'activité de formation d'étoiles dans les galaxies formant des étoiles doit être utilisée avec prudence.
Enfin, s’ils retrouvent un lien fort entre la fraction chauffante par les jeunes populations stellaires et le taux de formation stellaire, ils notent que la population stellaire anciennes est la source dominante du réchauffement dans la région du renflement, tandis que les populations stellaires anciennes et jeunes sont responsables à part égale du réchauffement de la poussière dans la région de la barre.
Terminons enfin par une publication de Speights et Rooke datant de 2016 intitulée The dynamical relationship between the bar and spiral patterns of NGC 1365. nettement plus ardue à lire. Cette publication est intéressante en ce sens que les auteurs constatent leur « échec » dans leur tentative de modélisation de NGC 1365 (se référer à l'image en bas à droite dans le cadre ci--dessus).
Partant du constat que les motifs en spirale bien organisés étaient courants dans les galaxies barrées, les auteurs se sont posé la question de savoir si ce n’étaient pas les barres qui « forçaient » la période des spirales, ce d’autant que la présence d'une barre forte doublait approximativement la probabilité qu'une galaxie du champ possède des spirales de grand style (comme NGC 1365). Les auteurs ont donc essayé de contraindre des modèles de relation dynamique entre les barres et les modèles en spirale des disques galactiques.
Mais, malgré des constations observationnelles qui plaide en faveur de l’existence de cette relation dynamique, sa nature reste à ce jour indéterminée. Les théories qui tentent de la modéliser se fondent sur le profil radial de la vitesse du motif, Ωp, et sont classées en grandes trois catégories générales selon que :
Les motifs de la barre et des spirales ont la même valeur de Ωp.
Les motifs de la barre et des spirales ont des valeurs différentes de Ωp et sont couplés par résonance.
Les motifs de la barre et des spirales ont des valeurs différentes de Ωp et ont des caractéristiques dynamiquement distinctes.
Ces trois catégories sont fondées sur la théorie des ondes de densité (density wave theories), où il est supposé que Ωp est constante à rayon croissant (c'est-à-dire que l’on considère que le motif est rigide comme nous l’avons déjà vu), auquel cas il peut exister une résonance de corotation (CR), une résonance Lindblad interne (ILR) et une résonance Lindblad externe (OLR) (développées en annexe).
Speights et Rooke ont tenté de contraindre ces modèles sur la barre de NGC 1365 avec les données observationnelles en H-alpha (Hα).
Parmi les schémas et les figures de leur publication, la figure ci-dessus est la plus simple à comprendre et met en lumière leur méthodologie ; elle montre en haut une carte d’un champ de vitesse modélisé, c’est-à-dire théorique, parmi plusieurs modèles testés par les auteurs (ici, un modèle en spirale), et en bas la « carte des résidus » (cad après soustraction des observables du modèle théorique). Dans le cas présent, on voit que les plus gros résidus se trouvent près de la barre et le long du bord concave du motif en spirale. Ils atteignent ∼150 km/s près de la barre (cf. l’axe colorimétrique sur la droite), traduisant la rotation de la barre à une vitesse plus rapide que celle attendue du modèle en spirale. En l’occurrence, les auteurs concluent à un flux elliptique, incompatible avec un mode d'onde global. Ils répètent ainsi pour chaque modèle le process, avec à chaque fois une carte des résidus non nulle, qui récuse le modèle théorique.
Les auteurs font remarquer par ailleurs que dans la plupart des publications antérieures, NGC 1365 était supposée rentrer dans la catégorie (1) alors que, bien que les caractéristiques photométriques de NGC 1365 soient souvent citées comme argument, la cinématique du gaz de NGC 1365 est incompatible avec cette hypothèse. De plus, les mesures de Ωp de HI (hydrogène neutre) montrent un Ωp qui diminue avec l'augmentation du rayon.
Le reste du papier est plus ardu à lire, mais les auteurs constatent au final un échec du Global Wave Mode pour expliquer la relation dynamique entre les modèles de barres et de bras spiraux dans les disques galactiques, après avoir mis en évidence que la rotation de la barre était plus rapide que celle des bras. Si selon eux, il semble y a avoir un couplage de mode des modèles de barres et de spirales au chevauchement de la corotation et des résonances de Lindblad internes (ILR), leurs résultats sont plus cohérents avec des motifs de barres et de spirales distincts dynamiquement.
La conclusion qui s’impose reste donc celle que la modélisation d’une galaxie spirale barrée est encore à définir.
Annexe
Une résonance Lindblad, du nom de l'astronome suédois Bertil Lindblad, est une résonance orbitale dans laquelle la fréquence épicycloïdale d'un objet (la vitesse à laquelle un périapse en suit une autre) est un simple multiple d'une fréquence de forçage. Les résonances de ce type ont tendance à augmenter l'excentricité orbitale de l'objet et à aligner sa longitude de périapse en phase avec le forçage. On trouve des exemples de résonances de Lindblad entraînant des ondes de densité en spirale dans les galaxies (où les étoiles sont soumises au forçage par les bras spiraux eux-mêmes) et dans les anneaux de Saturne (où les particules annulaires sont soumises au forçage des lunes de Saturne).
Les résonances de Lindblad affectent les étoiles à ces distances du centre d'une galaxie à disque où la fréquence naturelle de la composante radiale de la vitesse orbitale de ces étoiles est proche de la fréquence des maxima de potentiel gravitationnel rencontrés au cours de leur parcours à travers les bras spiraux. Si la vitesse orbitale d'une étoile autour du centre galactique est supérieure à celle de la partie du bras en spirale à travers laquelle elle passe, alors une résonance interne de Lindblad se produit (si elle est plus petite, alors ce sera une résonance externe de Lindblad) : lors d'une résonance interne, la vitesse orbitale d'une étoile est augmentée, déplaçant l'étoile vers l'extérieur, et à l’inverse elle est diminuée pour une résonance externe, provoquant un mouvement vers l'intérieur.
Une résonance de corotation se produit lorsque Ωp = Ω, la fréquence angulaire d'une orbite. L'ILR et l'OLR se produisent lorsque Ωp = Ω ± κ / m, où κ est la fréquence épicycle d'une orbite, et m est un entier déterminé par la symétrie du motif.
Références :
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The Two Micron All Sky Survey (2MASS). Skrutskie M.F., Cutri R. M., Stiening R., Weinberg M. D., Schneider S., Carpenter J. M., Beichman C., Capps R., Chester T., Elias J. The Astronomical Journal, Volume 131, Issue 2, pp. 1163-1183.
NGC 1365. Lindblad O. The Astron Astrophys Rev (1999) 9: 221–271.
ALMA observations of molecular tori around massive black holes. Combes, F.; García-Burillo, S.; Audibert, A.; Hunt, L.; Eckart, A.; Aalto, S.; Casasola, V.; Boone, F.; Krips, M.; Viti, S.; Sakamoto, K.; Muller, S.; Dasyra, K.; van der Werf, P.; Martin, S. Astronomy & Astrophysics, Volume 623, id.A79, 19 pp.
Evolution des galaxies : Interactions, fusions, et accrétion de gaz. Thèse. Frederic Bournaud. Université Pierre et Marie Curie - Paris VI, 2006.
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Date de modification :
31 01 2021
31 01 2021